L’organisation socio-politique traditionnelle du village de Daboura

Publié le mercredi 6 septembre 2017 à 14h01min

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L’organisation socio-politique traditionnelle du village de Daboura

Le mercredi 2 août 2017, nous avons publié un écrit sur le village de Daboura dans la commune de Solenzo situé à 17 km de la même commune de la province des Banwa, région de la Boucle du Mouhoun. Cet historique bien dressé aux générations futures a épaté plus d’un. Nous vous proposons cette fois ci, l’organisation socio-politique traditionnelle du village, le rôle de chaque chef, la hiérarchie dans l’organisation familiale, les relations sociales, politiques et coutumières entre le village et les villages voisins, la place de la femme dans l’organisation sociale, économique et politique.

Marcel Bombiri : Le chef de terre est le seul à qui revient le pouvoir d’organiser la communauté villageoise. Il était l’élément incontestable dans le culte dû aux fétiches en même temps, organisateur de la vie en société. Il n’y avait pas de chef de village tel que nous le voyons maintenant. Le chef de terre ordonne les sacrifices à faire chaque année pour conjurer les malédictions qui peuvent s’abattre sur le village. Il fait des réparations pour des dégâts commis envers les dieux de la brousse (Gnoumouni).

Les dégâts sont pour la plupart des accouchements de femmes, l’enterrement, le vol et des cas d’empoisonnement de champs. Il veille à ce que l’adoration des principaux dieux (Do et Yakwé entre autres) dans les villages soit faite à temps et en bonne et due forme. Dans sa fonction, il se fait aider par les chefs des familles résidant dans son village. Ceux-ci sont choisis par ordre de vieillesse, d’influence et de disponibilité mentale. C’est pour cette raison que la responsabilité de portions de terre est confiée à de nombreuses familles. Le Do est confié à la famille Kakonuan ; la brousse de Tombo aux Kadéba, celle de Kuira à la famille Coakuy.

Quant au chef de village, je peux dire que c’est une institution récente. C’est à l’arrivée du colonisateur que ce système a été mis en place pour satisfaire l’intention du colon. Pour être chef de village nommé, il fallait composer avec celui-ci, accepter toutes ses décisions : les corvées, les cultures de certaines matières premières, la création de nouvelles routes, la perception des impôts.

Quel est le rôle de chaque chef ?

Le chef de terre comme son nom l’indique, est le responsable de la terre occupée ou conquise par son pouvoir. Dans le village, les différentes brousses ont des noms. Ainsi les plus importantes brousses de Daboura portent des noms : Winkinè, Bonza, Kwèkuy, Tombo, Kwanikuy, Fèkèbi, Vounhounta, Mwanakokora, Passaniluy, Lobuwamoulé, Kuira et autres. Le chef de terre n’a pas voulu gérer ces contrées tout seul, il les a confiées à des familles. Il ne revendique aucun terrain. Il a cependant le pouvoir absolu sur toutes les terres. Il veille à ce qu’il y ait la paix au village, la santé et que la procréation surabonde. Les fétiches relevant de son pouvoir sont adorés. Les réparations des offenses faites à la divinité de la brousse lui reviennent.

Les offenses sont les suivantes : une femme ne doit pas accoucher en brousse ; on n’enterre jamais une personne en brousse ; voler en brousse est interdit, on ne tue pas, on n’empoisonne pas un champ. Au niveau du village, le chef de terre est responsable des grands fétiches et ordonne l’adoration chaque année. Ce sont le Do, le Lognou, le Gnoumouni et le Yakwé. Il ne se tient pas responsable des fétiches familiaux, c’est le ressort du chef du village.

Le chef du village : Avant, ce rôle était joué par le chef de terre. Maintenant le colon a séparé ces deux pouvoirs. Le chef du village est voté. Son rôle est administratif, il est régi par des lois et des textes qui le placent comme auxiliaire de l’administration. Son rôle principal est de faire respecter les lois, les textes et les décisions, les faire appliquer dans son agglomération permanente. Le chef de village se fait assister par un conseil de village. Il veille à la sécurité de son village. Il tranche des palabres avec ses conseillers, fait appliquer les sanctions. Il prévient les services de santé en cas de maladie déclenchée dans son village. Le cas de conflit grave est immédiatement signalé à l’ordre public. Son grand travail est de tout faire afin que le village vive dans une tranquillité totale.

Quelle est la hiérarchie dans l’organisation familiale ?

Koho Dieudonné : La famille est une cellule composante du village. Elle est composée d’hommes, de femmes et d’enfants qui exécutent les mêmes travaux, règlent ensemble leurs litiges. Au-dessus de tous, il y a un chef nommé chef de famille. Il est choisi selon son âge et ses capacités physiques et morales. La hiérarchie est composée comme suit : le chef de famille, le responsable des champs, le responsable des enfants, le gardien des greniers et une femme responsable des autres femmes.

Le chef de famille est le plus âgé. C’est lui qui supervise tous les biens de la famille ; il donne ses ordres et tout le monde obéit sans murmures, de même que les différents responsables des activités familiales. Le responsable des champs : c’est à lui que revient le pouvoir d’annoncer le nettoyage des champs, il apprête le matériel de travail. Il fait régulièrement le compte rendu de l’état des travaux au chef de famille. Jamais le jour ne se lève sans qu’il ne soit au champ. Il suit pas à pas les différentes étapes du travail et informe le chef de famille (semis sarclage, buttage, récolte, conservation des grains dans les greniers).

Le responsables des enfants n’est pas choisi parce qu’il est méchant ou toujours prêt à fesser les enfants mais parce qu’il a une pédagogie d’approche très souple. Il se fait comprendre par les enfants ; il leur donne des orientations claires. Le gardien des greniers : son rôle est parfois assumé par le responsable des champs, mais dans une famille nombreuse ce rôle peut être joué par un autre membre de la famille. Son rôle spécifique est de veiller à ce que aucune famille ne manque de nourriture, c’est-à-dire qu’il doit être à l’écoute et dès qu’il y a des murmures, vite il informe le chef de famille qui lui confère le pouvoir de distribuer les grains (winlo).

La femme responsable : est celle qui a le nombre d’années de mariage plus élevé dans la famille. Elle reçoit des informations et les porte aux autres femmes ; elle organise les travaux qui se font au niveau de la famille ; en cas de conflit entre femmes, elle fait la médiatrice et rapporte au chef de famille ce qui s’est passé afin que celui-ci prenne ses dispositions.

Quelles sont les relations sociales, politiques et coutumières entre le village de Daboura et les autres villages voisins ?

Marcel Bombiri : Entre Daboura et Denkiéné comme tous les villages voisins, il y a des accrochages parfois rudes. Ainsi Koudiakuy et Bwolokuy, deux quartiers de Daboura ont mis à sacs deux quartiers de Denkiéné pour raison de litige de terre et aussi de femmes. Les gens de Daboura, après la guerre, ont emporté des greniers d’arachides et sésame à Daboura. En termes de raillerie, les jeunes filles dans leurs jeux au clair de lune chantent : « Denkiéné est cassé et nous avons des arachides et leur sésame à manger sans fatigue. Après cet affrontement, Denkiéné est venu demander des excuses à Daboura.

Albert Coulibaly : Daboura et Denkiéné ont eu par le passé de bonnes relations, il y a parfois des accrochages entre jeunes des deux villages, mais ce genre de querelles ne dure pas. A ce propos, Lombo Coulibaly, chef de terre de Denkiéné au cours des visites rendues à Douwé, chef de terre de Daboura disait : « Nous sommes des poussins d’une même cage, même quand on se béquette, respectons nos yeux et nos plumes. KakaKoho à propos de Dissankuy a dit : « Daboura et Dissankuy sont deux villages familles. Nos jeunes se marient. L’amitié est au beau fixe. Comme illustration, pendant la guerre de Kokani, les gens de Dissankuy ont volé au secours de leurs parents de Daboura, ainsi les Dogomè ont été anéantis.

A propos de Dio, Sanou Zankié dit : « J’ai entendu mes grands-parents parler de Dio. Une affaire de femmes a opposé Dio à Daboura. Les gens de Dio au nombre de deux sont venus nuitamment à Daboura dans le but d’enlever une femme. La stratégie arrêtée pour se promener dans le village n’a pas été respectée et voilà que le deuxième de Dio a été fléché par son homologue. Arrivé à Dio, le blessé a succombé de ses blessures. Les gens de Daboura ont appris la nouvelle et sont allés à Dio dans le but de leur faire la leçon. Ayant appris ce qui allait se passer, les gens de Dio ont accueilli ceux de Daboura à l’entrée du village pour demander pardon. Le pardon a été accepté mais en guise de leçon, il y avait un baobab à côté, les guerriers de Daboura ont criblé de flèches ce baobab. Les générations montantes en tireront la leçon.

Sanou Zankié : Pour Daboura et Kié, il n’y a jamais eu des écarts entre ce village et Daboura. Ils vécurent toujours en paix. Nos grands-parents en termes de moquerie disaient : « Kiè est un village de femmes ».

Sanou Zankié et Bombiri Marcel : Le village de Dira a été installé après les autres villages (Yasso, Poui, Masso et Daboura). Les gens de Dira à leur arrivée ont eu à aller demander la terre à cultiver chez les gens de Poui. Ceux-ci ayant refusé la demande, ils sont venus chez les gens de Daboura. La demande a été exaucée mais quelques années après, un conflit de terre les opposait ; il fallait régler ce litige. Les gens de Dira ne voulaient plus entendre la voix de la raison. Les anciens de Daboura ont introduit un pari en présentant deux pierres et une calebasse d’eau et dirent : « Si demain nous revenons trouver que les pierres se sont transformées en colline, Daboura s’appropriera les collines et la terre. Au contraire si l’eau s’est transformée en un cours d’eau, Dira aura raison ». Le miracle s’est opéré en faveur des gens de Daboura. C’est pourquoi Dira n’a pas de terre. A part cela, Daboura et Dira sont restés en bonnes relations.

Quelle est la place de la femme dans l’organisation sociale, économique et politique du village ?

Jean Martin Coulibaly : La femme, dans l’organisation du village, n’avait pas de rôle spécial à jouer compte tenu de son sexe faible. Elle n’hérite pas le couteau des ancêtres. La chefferie ne revient jamais à la femme. Les anciens vont jusqu’à dire que dans la brousse, la femme n’est pas plus âgée que son fils. C’est dire que devant le dieu de la brousse (Gnoumouni), la femme reste inférieure à l’homme. Les occupations et droits qui incombent aux femmes, c’est de semer le champ, de récolter les grains et les entasser dans le grenier. Elles assument les travaux du ménage.

Cependant la société reconnait que la femme est la compagne inséparable de l’homme, non seulement dans le système de procréation, mais dans des cas divers. Beaucoup d’activités sont menées dans le village par la femme au niveau social, économique et politique. Quand, dans le village on doit prendre des décisions importantes, les hommes consultent les femmes et souvent leurs conseils aident les hommes à résoudre les problèmes en question. Economiquement, la femme a de très bonnes initiatives dans le cadre de micro-réalisations. Elles faisaient des travaux en groupe tels que le ramassage de bois de cuisine, la filature du coton, la teinture à l’indigo, le damage des terrasses.

La pratique du petit commerce existait aussi. Les femmes préparaient et vendaient le dolo (la bière du mil) de même que l’hydromel était vendu aux vieux. Elles vendaient également des ingrédients (sel, piment, soumbala, beurre de karité) ; ce genre de commerce était pratiqué uniquement par des femmes. Au niveau de l’animation du village, les femmes en sont les principales actrices. Au clair de lune, les femmes animent la partie (yéyé, hinyolo, sondolo, hâlo, etc.), pendant que les jeunes se livrent à la lutte.

Koramalé Timboué : Ce que Jean Martin a dit est vrai mais je vais ajouter ceci : En cas de décès d’une vieille femme, ses paires font les jeux rappelant les activités menées par la défunte. Les noix de karité sont fournies par les proches parentes et l’on fait son beurre d’adieu. Si la vieille exerçait le commerce du dolo, on descend ses canaris du feu, c’est-à-dire préparer un cabaret de dolo et l’on boit en sa mémoire. La danse au son du balafon est au rendez-vous. C’est ici l’occasion de pratiquer les danses suivantes : yéyé, hinyolo, hâlo (mais il faut être fort pour cette dernière danse).

A quoi sert le produit du petit commerce pratiqué par les femmes ?

La plupart des femmes de cette époque pratiquaient la thésaurisation. L’argent était emballé dans des chiffons et placé dans les fonds des canaris. Pour les cauris, la banque était formée de petits greniers (Daboza). C’était un grand plaisir d’étaler sur les nattes l’argent et cauris pour la comptabilité. Les dernières femmes que j’ai connues et qui faisaient du commerce sont : Hako, épouse de Palo, Yipan, Tèpan, et Haman. Elles faisaient des prêts aux hommes en cas de décès, des impôts, ou de cotisations au niveau du village. Ces prêts se remboursaient en vivres après les récoltes. J’ajoute aussi un mot à l’animation que les femmes menaient au niveau du village : A travers des chants au clair de lune, elles faisaient passer des messages comme moyens éducatifs. Exemple, la paresse de certains jeunes peut être combattue par les chants. Les jeunes se réveillent et se débarrassent de leur paresse.

Je cite aussi des devinettes, excellent moyen pour développer l’intelligence. L’arc-violon (Kankani), ce jeu développe également l’ouïe, l’imagination et le jugement. Les femmes exploitaient inconsciemment les astuces pédagogiques pour éduquer la population.

(Source : Le village de Daboura)

David Demaison NEBIE
Lefaso.net

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