Insécurité au Burkina : Ouagadougou, l’ultime refuge pour des ressortissants du Sourou en fuite

Publié le lundi 15 novembre 2021 à 19h37min

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Insécurité au Burkina : Ouagadougou, l’ultime refuge pour des ressortissants du Sourou en fuite

Des habitants de la commune de Di, dans la province du Sourou, région du la Boucle de Mouhoun, fuient les violences des groupes terroristes pour se réfugier à Ouagadougou, capitale burkinabè. C’est le constat que nous avons fait, mercredi 10 novembre 2021, avec des déplacés arrivant à bord d’une compagnie de transport en commun. Ils confient avoir quitté leurs localités, dans le désespoir, pour trouver leur salut à Ouagadougou.

‘’Les gens sont en train de fuir les violences des groupes terroristes à Di pour trouver refuge à Ouagadougou’’, nous a-t-on été alertés. Nous avons donc décidé d’aller à l’information à travers des gares de compagnies de transport qui desservent cette localité située à environ 300 kilomètres au nord-ouest de Ouagadougou.

Ce mercredi matin (10 novembre 2021), quand nous arrivions, à 9 heures dans l’une des gares d’une compagnie qui relie la commune de Di à Ouagadougou, c’était toujours le mouvement habituel : départs et arrivées. Dans la salle d’attente, pendant que certains passagers grignotent quelque chose dans l’attente d’embarquer, des arrivants sont à pied-d’œuvre à la recherche de taxis pour les conduire vers leurs destinations finales.

Alidou Kaboré est venu de Niassan, à une dizaine de kilomètres de Di, où les groupes armés ont perpétré une attaque le 31 octobre 2021. Cette attaque, qui a ciblé le poste de la police, a coûté la vie à cinq policiers. Depuis ce jour, raconte le vieux de 74 ans, il n’a plus la paix.

« On ne peut rester là-bas dans ce climat », Alidou Kaboré

« Ils viennent à tout moment dans le village et exigent de la population, particulièrement des femmes, le port du voile et des pantalons courts pour les hommes », a-t-il expliqué, ajoutant que c’est à cause de ce climat de terreur qu’ils ont fui la zone. En compagnie de son épouse et ses cinq petits-fils, le septuagénaire, le regard visiblement posé dans le vide, sous le coup du désespoir, était loin d’imaginer qu’il allait fuir son village un jour.

« Nous avons fui pour échapper à la mort », confie le vieil homme. Croulant visiblement sous le poids de la fatigue, le vieux Kaboré n’en revenait toujours pas. Lorsqu’il a fallu relater les conditions de son départ forcé, il avoue que « Ce n’est pas simple », avant d’indiquer que les terroristes sont les seuls maîtres de Di. « Ils ont détruit la police et la gendarmerie. Après cela, les maisons de mes voisins ont étés saccagées par ces terroristes. Ils disent qu’ils sont les seuls maîtres des lieux et ce qu’ils disent doit être respecté. Ils ont sommé les femmes de se voiler et les hommes de porter des pantalons courts et de laisser pousser la barbe », décrit-il.

« Face à tout cela, nous étions obligés de sauver notre vie », poursuit-il. « Il y a certains de mes enfants qui sont toujours là-bas », a-t-il explique-t-il la voix nouée et appelant l’Etat au secours.

Les terroristes ont pris le contrôle de Di

« Les terroristes organisent même des prêches à Di » Robert Sanfo

Robert Sanfo et son épouse ont aussi pris la poudre d’escampette afin de sauver leur vie. Arrivé à Ouagadougou le dimanche 7 novembre, Robert Sanfo a trouvé gîte chez son petit-frère, étudiant. Son épouse a aussi rejoint son petit-frère à elle. Pour ce producteur dans la vallée de Sourou, Di est sous contrôle des terroristes. Il se rappelle encore de la date du 31 octobre 2021 où une attaque a coûté la mort à cinq policiers.

Les terroristes seraient arrivés au commissariat autour du 5h du matin à bord de trois pick-up, sur des motos tricycles et des motos à deux roues. Ils ont commencé à tirer pendant plus d’une heure avant de continuer en ville pour célébrer leur « victoire » à travers des tirs en l’air et un concert de klaxons. Après ce dimanche noir, raconte-t-il, ils sont revenus encore trois jours après, précisément le mercredi aux environs de 21h. Ce jour-là, ils ont saccagé les nouveaux bâtiments de la gendarmerie.

Aïssata Guigma, s’inquiète pour l’avenir de ses neuf enfants

Dans cette intensité de tirs, Robert Sanfo et sa famille, n’ayant pas une autre porte de sortie, se seraient mis à prier au moment de l’assaut de ces ‘’hommes sans foi ni loi’’. C’est le lendemain, jeudi, qu’il va décider d’envoyer son épouse et sa maman à Tougan d’abord, puis à Ouagadougou, quelques jours plus tard. Contre toute attente, il sera lui-même obligé de prendre ses jambes à son cou, lorsqu’il reçoit un appel des groupes armés. « Où est-ce que tu es ? », lui auraient-ils demandé.

Ne sachant plus à quel saint se vouer après cet appel et avec le risque d’enlèvement, il prendra la direction du cimetière cette même nuit pour échapper au pire. C’est le lendemain de cette nuit cauchemardesque qu’il a tenté de rejoindre la ville de Tougan, le chef-lieu de la province de Sourou, située à 42 kilomètres de Di, avec l’aide d’un motocycliste. C’est à partir de Tougan qu’il rejoindra Ouagadougou. « Ils ont dit qu’après Di, ce sera le tour de Kiembara, Gassan et Toma » a-t-il alerté, le regard inquiet.

« Ils ont dit qu’ils n’ont pas affaire à la population, mais… »

Si l’Etat ne fait rien Di va se vider de sa population, se désole dame Sanfo

L’épouse de Sanfo raconte la peur qui s’est installée à Di. « Les terroristes sont arrivés pour la première fois à Di en mai 2020. Depuis cette date, ils ont commencé à tisser leur toile jusqu’à ce jour où la situation s’est dégradée. Beaucoup de personnes fuient Di de nos jours. Les enseignants, les gendarmes, les policiers et les militaires, tous ont quitté la commune. Ils demandent à tout le monde de prier à la mosquée et de faire la zakat. Ils ont exigé la fermeture des débits de boisson », dit-elle.

Ils auraient même demandé à la population, selon madame Sanfo, de rester parce qu’ils n’ont pas affaire à elles, mais plutôt aux forces de défense et de sécurité et aux individus qui leur fournissent des informations. Jusqu’à présent, poursuit madame Sanfo, Di se bat seul. « Les terroristes font la pluie et le beau temps là-bas. Ils sont-là à tout moment et se donnent la liberté de faire des contrôles. La commune de Di semble abandonnée par l’Etat », conclut-elle.

Ce sont les enfants de la localité qui se sont radicalisés, selon Cécille Ouédraogo

Cécile Ouédraogo est aussi originaire de Di. Elle a aussi pris la tangente en traversant la brousse vers 19h pour rallier Tougan. « J’ai emmené mes trois enfants dans un village d’abord avant de prendre moi-même la route de Tougan en traversant la brousse à 19h. De Tougan, j’ai rallié Ouagadougou par un car de transport », retrace Cécile Ouédraogo, ajoutant avoir abandonné, malgré elle, ses récoltes. « J’ai deux hectares là-bas, qu’est-ce que ce champ va devenir ? », s’est-elle interrogée. C’est grâce à sa production qu’elle s’occupait de sa famille, puisqu’elle a perdu son mari, confie-t-elle avant de s’interroger désespérément sur leur avenir, ses trois enfants et elle.

Tout comme Cécile, Aïssata Guigma et ses neuf enfants ont plié bagages de Di pour rejoindre Ouagadougou. Aïssata Guigma a trouvé refuge chez son frère dans un quartier périphérique de la capitale où nous l’avons rencontrée. Dans ce quartier précaire où elle vit désormais, Aïssatou Guigma se dit dépassée par la situation, puisqu’elle habitait à côté de la Police qui a subi l’attaque du 31 octobre 2021. « Je ne sais pas comment vous expliquer, mais c’est difficile pour moi », s’est-elle contentée de dire, le regard baissé. « Je remercie Dieu de m’avoir permis d’arriver ici », a-t-elle simplement conclu en langue dioula.

NB : Pour des raisons de sécurité, nous avons changé le nom des intervenants.

Serge Ika Ki (stagiaire)
Lefaso.net

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